Lorsque nous aurons réussi à donner à l'enfant une base auditive sensorielle et que nous l'aurons amené à réagir affectivement aux divers éléments sonores, nous pourrons entreprendre le développement musical sans risquer de faire un faux travail. Gamme, sens tonal, intonation, lecture et écriture se révéleront tour à tour comme un épanouissement normal, comme une prise de conscience qui vient à son heure.
Edgar Willems (1)
L'idée d'une base auditive sensorielle représentant un préalable indispensable à toute éducation musicale est sans doute le point commun le plus marquant reliant les courants pédagogiques musicaux du XXe siècle. De Kodály à Willems, de Martenot à Dalcroze, en passant par Orff, toutes ces pédagogies, aux sensibilités pourtant bien différentes, se rejoignent en effet lorsque se pose la question du sens donné à l'enseignement de la musique. C'est bien par le ressenti que l'enfant peut discerner, mémoriser, reproduire pour ensuite analyser, comprendre et même transmettre. Puisque, comme l'écrivait si justement Maria Montessori L'enfant nous demande de l'aider à agir tout seul , nous nous sommes posé, lors de la conception de cet ouvrage, la question suivante : comment proposer à l'enfant, et ce dès le début de son éducation musicale, une méthodologie l'amenant à être le plus autonome possible, à s'ouvrir sans inhibition aux différents paramètres sonores, à découvrir de vastes répertoires, à appréhender de manière ludique l'acte musical, sa lecture, son écriture, pour faire sienne cette maxime de Guillaume de Machaut : Et Musique est une science qui veut qu'on rie et chante et danse '
Nous avons choisi de structurer cette méthode en chapitres se composant chacun d'une partie rythmique et d'une partie mélodique.
1. Par rythme, nous entendons tout d'abord l'éveil à la pulsation et à la durée, au sentiment mesuré et à la battue de mesure, à la carrure et à la conscience des phrases musicales et de la forme. En ce sens, nous proposons un éveil rythmique axé autour des longues et des brèves ( courtes ) permettant ainsi à l'enfant d'asseoir sa pulsation tout en ancrant les notions de binaire et de ternaire. Cela permet aussi d'éveiller son sens de la prosodie et des métriques dites irrégulières, proches notamment des répertoires populaires de l'Europe de l'Est.
Bien entendu, toutes les formules rythmiques constituant le programme usuel d'une première année sont abordées. Nous tenons à ce que l'élève s'imprègne ainsi du système rythmique au sens large du terme et développe en conséquence une réelle autonomie de jeu et de lecture. Les rythmes sont abordés avec des exemples variés issus de nombreux répertoires. En changeant ainsi les contextes, l'enfant dissocie les notions essentielles du rythme et du tempo qui lui est associé.
2. Les chapitres mélodiques ont pour vocation d'éveiller la vocalité et de développer l'écoute intérieure. Une attention toute particulière est donnée aux textes vocaux, issus notamment des répertoires traditionnels (chansons, comptines...).
La découverte de l'échelle musicale se fait en partant du La du diapason, dont on ne saurait trop encourager l'usage. La lecture se fait en lien direct avec le son : on doit entendre et chanter ce qui est lu. Nous proposons pour cela une écriture ludique constituée de cubes permettant de relier l'oeil à l'oreille de façon plus immédiate. Ne voulant pas bloquer l'enfant dans un seul système de lecture, nous proposons d'axer le travail autour de la lecture relative, qui permet d'être tout de suite à l'aise dans les clés les plus usuelles, tout en montrant l'importance du ressenti de l'échelle diatonique composée de tons et de demi-tons. A ce titre, l'éveil aux différentes modalités nous paraît essentiel - ainsi l'on trouvera nombre de textes issus du répertoire ancien, et grégorien en particulier. Partant de la construction de la portée, ligne par ligne, nous pensons aider l'enfant à se familiariser avec les hauteurs et à comprendre et mieux maîtriser la construction de l'écriture musicale.
La conscience des intervalles est éveillée par la technique de la note imaginaire , qui permet à l'élève de construire l'écart entre les notes, de fixer les hauteurs et de développer une empreinte sonore préalable à l'acte vocal comme à l'acte instrumental.
Des travaux d'écriture sont d'ailleurs proposés tout le long de l'ouvrage : petites dictées, écriture en clés de Sol et de Fa, transpositions... L'oreille harmonique est aussi développée par des jeux autour des cadences qui représentent la ponctuation du langage tonal. Il en va de même pour la conscience des timbres instrumentaux.
Le solfège proprement dit consiste à chanter en nommant les notes et en battant la mesure , écrivait Albert Lavignac ()2. Bien qu'un peu réductrice, cette phrase démontre que la question d'un solfège relié directement à la musique se posait déjà au XIXe siècle, reprenant aussi les idées pédagogiques déjà présentes dès la Renaissance. Nous avons souhaité inclure dans l'ouvrage les données théoriques essentielles, tout en les reliant directement à l'événement sonore. Ainsi, elles prennent du sens et la théorie devient vraiment musicale .
Fruit de notre expérience, de l'étude des courants pédagogiques et d'une recherche de répertoires tant variés qu'appropriés, L'Ouverture à la musique propose au professeur et à l'élève, enfant ou adulte, de débuter son apprentissage musical en se plongeant d'emblée dans la matière sonore, en goûtant au plaisir de la découverte et de l'expérimentation.
Benoît Menut, Pierre Chépélov
(1) Edgar Willems, L'Oreille musicale, tome 1 La préparation auditive de l'enfant, Fribourg, Editions Pro Musica, 1977, p.136.
(2) Albert Lavignac, L'Education Musicale, Paris, Charles Delagrave, 1902, p.24. / Partition CD /
Arr : Eveil MusicalEditeur : Lemoine, Henry27.60 EUR - Voir plus - Acheter