Le premier cahier des Vexierbilder (1991) (Vexierbild se traduirait par attrape , rébus ) exploitait l'idée d'image trompeuse, de référent décalé, se concentrant autour d'un matériau délibérément appauvri. Dans ces trois nouvelles pièces, la musique cherche à se construire autour d'un geste, d'une figuration systématique, d'une forme coupant court à tout développement.
Dans une veine années de pèlerinage , Rome était la matière des images cryptées des trois premiers Vexierbilder. C'est l'art du poète américain Wallace Stevens qui est au centre de ceux-ci, et plus particulièrement son premier recueil Harmonium (paru en 1923), où il tente de trouver, avec des moyens resserrés, le caractère transcendant inhérent à la musique (Claire Malroux). En somme : remplacer le grand orgue de la poésie, devenu inadapté, par un instrument moins noble en apparence, dont le souffle et la portée naîtraient d'une activité têtue, concentrée mais presque dérisoire.
Pratiquant les rappels sacrés, parfois ironiques, Wallace Stevens (1879-1955), par un jeu de degrés étourdissant de raffinement, a porté au plus haut l'art de faire du neuf avec la mémoire.
Speech of clouds
Deux notes - une simple tierce do-la dans le médium - sont sollicitées par une navette de deux mains qui n'en seraient qu'une, sans chant ni harmonie, et sonnent comme un carillon brouillé. Dans la seconde partie de la pièce, après un court récitatif sorti de silence, ces trajectoires virtuoses, ces fusées d'artificier pour solo de concert , régressent, involuent vers une formule égrenée simplement par les cinq doigts, en ombre, ppppp possibile, comme une trame usée, ou un envers montrant la pauvreté de ses noeuds - et de ses ficelles - sur laquelle, au même endroit du clavier, vient se poser un contre-chant, comme si ces deux mains du médium n'appartenaient plus alors au même corps - invention rebrodée ton sur ton où une voix contrepointe l'autre par soustraction.
...An uncertain green,
Piano-polished, held the tranced machine
Of ocean, as a prelude holds of holds.
... Un vert incertain
D'un poli de piano, tenait la machine enchantée
De l'océan comme un prélude tient sans fin.
Negation
Pièce lente qui revient à cet arte povera cherché dans le premier recueil des Vexierbilder. L'objet harmonique est ici donné dans une grande nudité, comme une anti-figure dont le caractère obvi se retournerait en ambiguïté interrogative, et à partir duquel plusieurs ostinati se construisent, s'épuisent sans développement, écho au poème éponyme de Stevens : Hé ! Le Créateur aussi est aveugle / Qui cherche à bâtir son harmonieux ensemble, / Rejetant les parties intermédiaires, / Les horreurs, les faussetés et les maux, / Maître incapable de toute puissance, / Trop vague idéaliste, submergé / Par un souffle qui persiste.
Rondo
Une courte séquence construit la pièce en refrains, comme le titre l'indique, empruntant au contre-chant de la première pièce. Certaines strophes font entendre un précipité des ostinati de la seconde pièce, mais rejetés dans les extrêmes du clavier. Est-ce alors le grave qui vient orner, fouetter l'aigu à contre-emploi' Ces agrégats doivent sonner comme des sacs de grains lâchés par terre. C'est comme un tribut déposé au pied de la rhétorique, un geste d'embrassement qui voudrait naïvement fermer le ban du pianisme. D'autres strophes, plus fugitives, font entendre des sortes de chants d'oiseaux dont la mécanique se serait bloquée. Après un dernier retour du refrain, ourlé de résonances, la pièce se termine par une clausule dansante, livide, itérative, pendant aux Jeux d'os squelettiques qui achevaient les premiers Vexierbilder :
Mow the grass in tue cemetery, darkies,
Study the symbols and the requiescats,
But leave a bed beneath the myrtles.
The skeleton had a daughter and that, a son.
And that one was never a man of heart.
The making of his son was one more duty.
When the music of the boy fell like a foutain,
He praised Johann Sebastian, as he should.
Tondez l'herbe du cimetière, négros,
Examinez les symboles et les requiescats,
Mais laissez un lit sous les myrthes,
Ce squelette avait une fille, et cet autre, un fils.
Celui-là ne fut jamais un homme de coeur
Engendrer son fils ne fut qu'un devoir de plus.
Quand la musique de ce garçon retomba comme un jet d'eau,
Il loua Jean-Sébastien, comme il se devait. / Partition /
Arr : Piano seulEditeur : Lemoine, Henry18.00 EUR - Voir plus - Acheter