Par JARRELL MICHAEL. Michael Jarrell est un compositeur du dialogue. La plupart de ses oeuvres récentes pour grande formation mettent en regard, en écho ou en résonance un ou plusieurs solistes et la masse orchestrale. Citons ...prisme / incidences... pour violon et orchestre (1998), Assonance IX pour clarinette et orchestre (2000), le concerto pour piano Abschied (2001), Epigraphe pour accordéon et orchestre (2003), ou encore Sillages, avec flûte, hautbois et clarinette solistes, joué en première mondiale pendant la saison 2005-2006 de l'Orchestre de la Suisse Romande. Sa toute dernière création ...un temps de silence..., met cette fois la flûte seule en vedette. 'Ce n'est pas un concerto à proprement parler, mais un peu plus que les autres quand même !', confie avec malice le compositeur genevois (entretien réalisé par Luca Sabbatini en février 2007 à Genève). 'Bien sûr, il n'y a pas de hiérarchie traditionnelle soliste/accompagnement. La flûte doit constamment trouver sa place. L'orchestre ne joue pas un rôle de faire-valoir, il possède son autonomie. En cela, ...un temps de silence... est plus proche de mon concerto pour piano que de ...prisme / incidence..., où tout venait du violon.'
Comme le titre le suggère, la musique de cette nouvelle oeuvre tend vers sa propre dissolution. 'J'ai voulu faire entendre différents types de silence', confirme Michael Jarrell. 'On ne peut les percevoir qu'en variant les contextes. Le silence n'est pas le même après un seul accord ou après une cascade de notes.' Plusieurs idées temporelles d'affrontent. L'une, très pulsée, naît de l'orchestre et se transmet à la flûte. Une autre correspond à 'des moments hors du temps, qui glissent vers le silence'. La virtuosité exigée du soliste atteint des niveaux de difficulté proprement diaboliques. 'Emmanuel Pahud est venu me rendre visite et nous avons travaillé sur ce qu'il était possible de faire à la flûte', raconte le compositeur. 'La partition est écrite sur mesure, en tenant compte des capacités d'Emmanuel.'
...un temps de silence... s'ouvre sur trois accords marqués des cordes, percussion, harpe et piano, qui reviendront trois fois de façon audible, mais orchestrés différemment. Ces accords génèrent également 'l'harmonie fantôme' sur laquelle repose l'oeuvre. L'orchestre installe peu à peu une pulsation régulière, ce qui 'plonge la flûte dans une situation de stress', selon Michael Jarrell. Elle s'accroche, tente de rattraper l'orchestre, court après lui à bride abattue. La subtilité de la mise en place, avec de nombreux échanges ou superpositions rapides entre soliste et orchestre, rend tout le passage périlleux. Un grand tutti introduit la partie centrale, où les protagonistes entrent en symbiose sur un tempo très lent, qui dérive peu à peu vers un 'hors temps' énigmatique. Puis le silence. La dernière partie repart au galop, mais cette fois c'est la flûte qui dicte son rythme à l'orchestre, qui devient l'axe autour duquel tous les autres instruments tournent. L'orchestre finit par prendre le dessus dans ce jeu du chat et de la souris, au cours d'un épisode d'environ une minute, mené à une vitesse vertigineuse. Deux des trois accords du début reviennent, puis se diluent sur un tempo lent, où les percussions, notamment le bongo, dominent. Michael Jarrell cite alors son propre opéra Galilée, créé au Grand Théâtre de Genève la saison dernière: soutenu par trois rins japonais et quelques instruments, un woodblock aigu joue une pulsation régulière, sur laquelle la flûte vient poser ses commentaires. L'harmonie fait du sur place, le temps se fige, comme un arrêt sur image. La musique ne disparaît pas dans le silence. Elle est devenue son négatif, son ombre, son souffle.
Luca Sabbatini
in Programme du concert de l'Orchestre de la Suisse Romande du 22 mars 2007, Victoria Hall (Genève) / contemporain / Répertoire / Flûte Traversière et Orchestre
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